Une invitation à la bienveillance

Un autre hiver est à nos portes ; mon 18e hiver au Centre de jour St-James. Les mois à venir seront difficiles pour les personnes qui ont le centre comme résidence principale. Notre ville peut certainement être impitoyable envers ceux qui ont moins de chance que nous et qui doivent lutter pour rester à flot dans des conditions météorologiques parmi les plus rigoureuses de cette partie du monde.

Plus grave encore est l’indifférence croissante de notre société à l’égard de ceux qui vivent en marge. Je pensais que la plus grande difficulté d’être sans-abri c’était de n'avoir nulle part où dormir ou d'avoir froid et faim pendant les longues journées d'hiver, sans rien à faire ni nulle part où aller. Mais au fil des années, j'ai appris des gens dans la rue que l'aspect le plus dur de cette vie est le sentiment de ne pas être voulu ni valorisé. Les gens qui vivent dans nos rues sont marginalisés, traités, dans le meilleur des cas, comme des citoyens de seconde classe qui devraient se sentir comme des passants importuns dans leur propre ville. Chaque jour de l’année, ils se font dire qu'ils ne sont simplement pas assez importants pour une société dont la richesse dépasse ses rêves les plus fous.

Oui, bien sûr, ils veulent des services, un endroit où dormir, un bon repas, des vêtements propres, et, espérons-le, quelque chose à faire. Mais ce qu'ils veulent vraiment, c'est être valorisé.

Ce que notre société a démontré au cours des dernières décennies, c’est que fournir des services de base est la partie la plus facile.

En fait, il est possible de fournir ces services tout en renforçant ce sentiment de non-valorisation.

Même si les services sont importants, les amitiés et les relations significatives comptent davantage. En passant du temps avec ceux qui nous entourent, nous montrons que nous les valorisons. Et ce faisant, nous leur rendons la dignité que la société, en les laissant sans abri, leur a retirée. Aucun service, procédure, politique ou plan stratégique ne peut faire cela. Nous ne pouvons y parvenir qu’à travers notre bienveillance et en montrant que nous nous appartenons les uns aux autres.

Les personnes vivant en marge sont toujours celles qui bénéficient des services ; en fait, ils ne font que recevoir, recevoir, recevoir. Mais restaurer la dignité implique de croire que nous avons TOUS quelque chose à contribuer à la vie des autres.

En me partageant leurs histoires, ils me montrent que nous sommes bien plus semblables que différents. En les écoutant, je perçois les préjugés qui me tachent le cœur et je me rappelle à quel point j'ai de la chance. En écoutant, nous découvrons la part indifférente de nous-mêmes, la part qui ne reconnaît pas que la personne que j'écoute pourrait être moi si ce n'était des différentes circonstances qui ont façonné nos vies. En les jugeant, nous nous jugeons nous-mêmes ; cela révèle  la partie indifférente de notre société dont nous ignorons bien trop souvent l'existence. En écoutant, en partageant nos histoires, en riant et en pleurant, nous sommes mis au défi de délaisser le jugement et de tendre la main avec bienveillance à ceux qui ont moins de chance que nous.

Le Centre de jour St-James, là où je passe la plupart de mes journées, me donne l'espoir qu'il est possible de réaliser ces idéaux si l'engagement, la grâce et l'ouverture du cœur sont ajoutés au fait de marcher aux côtés de ceux qui luttent avec la pauvreté, l'itinérance, la toxicomanie, etc. C'est du temps bien dépensé.

 

Merci de votre soutien qui rend toutes ces choses possibles.

 

-Alain

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